Gettin' In Over My Head (2004)
Pour …
Ce disque paru en juin 2004 est le quatrième album studio de Brian depuis 1988. Il fait suite à Imagination publié en 1998 et qui n’a pas laissé un souvenir impérissable à ceux qui l’ont acheté. On se souvient surtout de morceaux corrects noyés dans une production hors-sujet, clinquante à souhait. Ce traitement n’était, cependant, pas une découverte car l’album de 1988, à l’époque encensé par la critique, présente, avec le recul, le même genre de défaut. Gettin’ In Over My Head constitue, de ce point de vue, un bond en avant qualitatif : la production est nettement plus adaptée à son sujet, même si elle présente ici ou là les défauts inhérents aux produits américains d’aujourd’hui. Dans l’ensemble, cependant, les atouts l’emportent sur les défauts.
Premier atout : la présence des Wondermints. Ce groupe, qui accompagne Brian en tournée depuis de nombreuses années (voir les albums Live At The Roxy et Pet Sounds Live ), est, à l’inverse des instrumentistes interchangeables utilisés sur les 2 premiers albums, un groupe qui connaît sur le bout des doigts la musique de Brian et est capable de la jouer en en faisant ressortir toutes les nuances. On comprend que Brian ne tarisse par d’éloges sur ce groupe, allant jusqu’à le déclarer « meilleur » que les Beach Boys ! (dans une interview donnée à Nick Kent pour Rock & Folk, octobre 2004).
Deuxième atout : les morceaux sélectionnés. Brian a beaucoup enregistré en 20 ans, mais la plupart de ses enregistrements sont restés dans les boîtes, et n’ont fait surface que sur des bootlegs. Il a donc saisi l’opportunité, pour cet album, de sortir enfin quelques- unes de ses meilleures productions, en les réenregistrant avec les Wondermints. Il a, au passage, remanié et achevé certains titres. Nous avons donc la possibilité d’entendre officiellement pour la première fois 4 morceaux du deuxième album inédit de Brian, Sweet Insanity, dans des versions bien supérieures aux versions bootlegs, en particulier les merveilleux Make A Wish et Rainbow Eyes ainsi que The Waltz (a.k.a Let’s Get Together) pour lequel Van Dyke Parks a écrit de nouveaux lyrics, ainsi que 5 excellents titres des sessions avec Andy Paley dont Soul Searchin’ qui permet un duo posthume avec Carl Wilson : on peut émettre des réserves sur le procédé, d’autant que le résultat est inférieur à la version d’origine où seul Carl chantait, accompagné par les Beach Boys.
Troisième atout / Premier défaut : pour satisfaire à une coutume maintenant bien établie, Brian a souhaité inviter 3 « stars » sur son album : Elton John, Paul McCartney, Eric Clapton. Le résultat est assez médiocre. Si Elton se sort convenablement du morceau qui lui est imparti (How Could We Still Be Dancin'), on n’en dira pas autant de Macca (il intervient sur le morceau le plus faible du disque, pourtant co-signé Steve Kalinich ! : A Friend Like You pour une prestation sans éclat), ni, surtout, de Clapton qui nous gratifie d’un espèce de solo calibré FM, gros son, gros effets, mais totalement inadapté à la musique de Brian. A sa décharge, reconnaissons que ce City Blues, rescapé des fameuses Cocaïne sessions des années 80 n’est certainement pas le titre le plus impérissable de Brian.
Deuxième défaut : la voix. Que Brian n’ait plus la voix qu’il avait dans les années 60, c’est une évidence. Qu’il ait même la voix encore plus détériorée que dans les années 70, c’est certain. Mais bon, les fans de Bob Dylan ont depuis longtemps fait leur deuil de la voix de leur idole.
Pourquoi les fans de Brian n’en feraient-ils pas de même ?
C’est qu’il y a deux catégories de fans de Brian :
- ceux pour qui il n’était qu’un cinquième des Beach Boys, sorte de Boys Band avant la lettre ; pour eux, c’est le Brian vocaliste qui compte ;
- ceux pour qui Brian est d’abord un compositeur, un arrangeur, un producteur génial, et accessoirement un vocaliste. Pour eux, le problème de la voix est secondaire.
Pour ceux qui, comme moi, appartiennent à cette seconde catégorie, GIOMH constitue le meilleur album solo de Brian. Pour les autres...
... Contre
N’y allons pas par quatre chemins : si ce disque n’était signé Brian Wilson, y aurions-nous prêté la moindre attention ? Les « Guest appearances » annoncées, en tout cas celle d’Elton John ou d’Eric Clapton, nous auraient fait fuir sans aucun doute !
Que faut-il alors sauver ?
• un Brian mieux entouré avec son magnifique Touring Band, mais quel dommage qu’il n’ait pas cru nécessaire d’utiliser les compétences vocales des 10 musiciens qui l’entourent sur scène, d’autant plus que sa voix, elle, pose problème,
• quatre ou cinq titres appréciables, Soul Searchin' avec la participation posthume de Carl Wilson, Gettin’ In Over My Head, Fairy Tale, The Waltz et pourquoi pas, Desert Drive ou Saturday In The Morning,
• une production artistique globalement plus conforme à la musique de notre homme que celle imposée sur Imagination par un Joe Thomas de sinistre mémoire, il y a maintenant déjà 6 ans.
Nous avons sans doute à faire là à un disque en chantier depuis plusieurs années et dont la fin a été bâclée parce que le projet Smile avait repris du poil de la bête.
Faut-il s’en plaindre ? Finalement, non. Contentons-nous de ça ...
Presse française
Rock & Folk n°519, novembre 2010, rubrique "Erudit Rock" sur Gettin' In Over My Head (Philippe Thieyre)