Brian Wilson (1988)
Landylocked
Le premier album solo de Brian Wilson… Avec les années, certains n’y croyaient plus. Pour beaucoup Brian est cramé depuis le fiasco SMiLE en 1967, même si les fans savent eux, que le génie n’a pas subitement quitté le grand homme et que ‘Til I Die, Time To Get Alone, Add Some Music To Your Day, Sail On Sailor et tout The Beach Boys Love You sont là pour le prouver.
La genèse du disque est assez complexe. Gary Usher, un des premiers collaborateurs de Brian dès 1962, retrouve son ami. Ils travailleront ensemble de juin 1986 à mars 1987 étroitement surveillé par le Dr. Landy, fameux psychiatre ayant remis Brian sur pied avant de le vampiriser pour son propre compte… en banque. Ce dernier craint de perdre le contrôle sur son patient et pousse Usher vers la sortie. Un simple sera tout de même publié en 1987 (Let’s Go to Heaven in my Car / Too Much Sugar) que l‘on retrouve en bonus sur la réédition de l’album par Rhino ainsi que la démo de Walkin’ The Line.
Finalement signé sur Sire par son président Seymour Stein transi d’admiration pour Brian, il charge Andy Paley d’assister le Maître. Il rencontrera, tout comme Usher, de nombreuses difficultés avec la politique de contrôle du Dr. Landy. Ce dernier arrivera tout de même à imposer son nom dans les crédits de l’album comme co-compositeur de nombreux titres, crédits heureusement remaniés en 2000 lors de la réédition.
Fantasia sous acide
D’entrée la voix de Brian accroche l’auditeur : même si le falsetto et la souplesse des grandes années s’est envolé, il s’agit là d’une renaissance ! Nous sommes en 1988 et la production reste très daté, tendance synthétiseur et boîte à rythme. Nirvana ou les Pixies étant mes groupes de jeunesse, ceci constitue généralement une faute de goût impardonnable. Certes, mais tout cela rappelle The Beach Boys Love You avec en plus l’obsession Spector de Brian qui bat son plein. Ce sont donc des couches de synthés et de percussions qui s’empilent en une délirante cathédrale sonique avec tellement trop de tout que cela en devient fascinant. Philippe Manœuvre dans une chronique enthousiaste de l’album comparait l’écoute de Brian Wilson à un visionnage de Fantasia sous acide. Je n’ai pas tenté mais c’est bien vu.
Parlons musique
Premier simple issu de l’album, Love and Mercy est un miracle. Oui, cet homme qui semblait définitivement perdu en est encore capable ! Ce titre est toujours régulièrement joué sur scène par Brian pour clôturer ses concerts, c’est dire. Melt Away est également remarquable, sa douce mélodie faisant écho à des paroles pleines de tendresse. Passé ces deux titres phares, avouons que l’album a ses moments plus ou moins convaincants. Ainsi Night Time tourne en rond et One For the Boys, tour de force vocal, ne convainc pas, la faute à l’étrange rendu synthétique des voix. En revanche, une fantaisie pleine de vie comme Little Children ou Baby Let Your Hair Grow Long est ce qui manque cruellement aux albums des Beach Boys depuis trop longtemps. Des clins d’œil apparaissent régulièrement, du break de There’s So Many (You Still Believe In Me) au coda de Rio Grande (River Song).
Rio Grande justement. Un parfait résumé de l’album : ce serait une œuvre de commande, une tentative imposée de créer un morceau dans l’esprit de SMiLE, et donc constitué de fragments agencés. Splendide réussite ! On se fait mentalement son film en écoutant les 8 minutes et c’est magique. Enfin non justement, la magie s’est envolée et il ne reste à Brian qu’à tenter consciemment ce qu’il réussissait auparavant inconsciemment. Le distinguo est de Bob Dylan qui divise ainsi son travail avant 1966 et après son fameux accident de moto. L’état de grâce n’est peut-être plus là mais le talent, immense, de l’homme fait la différence. Brian Wilson est une franche réussite.
Presse française
Best n°243, octobre 1988, Chronique (François Ducray)
Inrockuptibles n°13, octobre 1988, Chronique (Serge Kaganski)