Sunflower (1970)
Des détails
Il est des détails qui ne trompent pas. Dans le documentaire Endless Harmony », la lueur dans le regard de Bruce Johnston à l’évocation de Sunflower (« le plus gros bide commercial de toute notre carrière, et pourtant mon disque préféré ») en dit long sur la place particulière qu’occupe ce disque dans la discographie des Beach Boys. Le proverbial « trésor caché », le type même de l’album que les instances officielles du Rock & Roll renâclent à admettre au rang de classique mais qui, pour bien des fans, revêt une valeur sentimentale à part.
Les autres boys
L’écart vertigineux entre la qualité musicale de l’objet et son succès ne saurait toutefois tout expliquer. Album de transition à plus d’un titre – le premier des Beach Boys chez Warner et de la décennie 70 –, Sunflower est nimbé d’une atmosphère à part. Sur sa pochette, Brian Wilson apparaît pour la dernière fois flanqué de sa coupe au bol de l’époque Pet Sounds et c’est comme si, précisément, il avait pour l’occasion décidé de faire don à ses comparses de parcelles de son génie de 1966-67. Délestée provisoirement du poids de ses obsessions et de sa paranoïa, sa propre écriture y est plus souveraine que jamais – voir All I Wanna Do et sa prodigieuse mise en son par Steve Desper. Mais c’est surtout l’excellence nouvelle des autres Boys dans le registre de la composition qui épate l’auditeur. Outre Bruce Johnston, dont le nom demeurera associé à peu de chansons aussi élégantes que Deirdre, Dennis Wilson s’y révèle spectaculairement prolifique et inspiré, dans des proportions que ses premiers pas de songwriter sur Friends ou 20/20 ne laissaient pas présager.
Heureux paradoxe
L’heureux paradoxe étant que ce disque d’émancipation de la tutelle de Brian est peut-être celui où les luttes d’ego ont le moins droit de cité. Mus par un semblable désir d’harmonie et de volupté, tous les membres du groupe apportent leur pierre à un édifice à la fois singulièrement polychrome – rhythm & blues sanguin, country-folk bucolique et pop orchestrale y cohabitent – et unanimement radieux, offrant une définition fort convaincante de l’expression Sunshine Pop. Impossible enfin de ne pas évoquer ici Michel Colombier, décédé dans une triste indifférence en 2004, qui offrit au groupe sur ce disque des arrangements si beaux (notamment sur Deirdre et le sublime Our Sweet Love) qu’ils eurent à eux seuls justifié qu’on lui rendît plus ostensiblement hommage.