Friends (1968)
Grande injustice que le sort subi par l’album Friends ! Ce fut l’un des plus grands échecs commerciaux des Beach Boys (126e au hit-parade Billboard 200 !) et pourtant, c’est l’un de leurs meilleurs disques ! Comment un tel album a-t-il pu être autant ignoré ?
Le crépuscule des Dieux ?
En ce début d’année 1968, cela ne va pas fort pour les Beach Boys… et apparemment pas non plus pour les héros pré-psychédéliques… Les Beatles, bien que toujours au sommet, subirent pour la première fois de dures critiques négatives avec leur téléfilm Magical Mystery Tour (malgré une bande-son de haute tenue, si on ignore Flying !). Les Rolling Stones, à peine sortis d’affaires judiciaires (scandale botanique), sortirent un excellent album qui ne fut pas apprécié à sa juste valeur : Their Satanic Majesties Request. Les Beach Boys, quant à eux, étaient dans une situation bien plus critique. L’année 1967 devait être l’apogée… ce fut celle non pas du déclin, mais de la chute vertigineuse. Ils étaient devenus ringards, ayant raté le train du psychédélisme, paraissant alors aux antipodes de la contreculture californienne. La côte Ouest, c’était désormais Hendrix, les Doors… pas les Beach Boys.
La désaffection du public pour les Boys n’avait pas (uniquement) des raisons culturelles ou artistiques. Le label Capitol les lâchait progressivement, du fait des tensions avec le groupe. La promotion n’était plus ce qu’elle était. Moins de promotion signifiait une médiatisation moindre… le public touché ou au fait des sorties discographiques des Boys n’était plus aussi vaste qu’avant… Ces deux éléments expliquent l’injustice commerciale vécue par Friends.
Un retour aux sources ?
Afin de se démarquer du tourbillon psychédélique qu’ils avaient embrassé, mais dont ils sentaient avoir fait le tour, les Beatles et les Stones ont opéré un retour aux sources, les uns avec Lady Madonna, les autres avec Jumpin’ Jack Flash. Mais, en quête de spiritualité, les Beatles étaient partis en Inde… et Mike Love aussi. L’influence du Maharishi se fit ressentir sur l’album Friends (Transcendental Meditation), mais aussi sur la direction artistique avec une tournée-lecture du Maharishi avec les Beach Boys qui fut un échec complet… en attendant les TM Song et autres MIU Album…
Du coup, le principal tenant de la « formula » n’était pas là. Cela explique peut-être pourquoi Friends est un album simple (l’ambition était en berne, et elle allait l’être pour de bon dans le cerveau esquinté de Brian Wilson), mais qui est une synthèse parfaite entre l’harmonie musicale des plus grands disques du groupe, notamment Pet Sounds, et les voies ouvertes par Wild Honey, opus laid-back qui annonçait le son à venir.Dans la maison de Brian servant de studio d’enregistrement, le groupe se mit à enregistrer en février 1968, seuls, mais également avec des membres de la Wrecking Crew. Certes, ils n’étaient pas aussi nombreux qu’en 1966-1967, mais il y a une certaine reprise en main sonore, ce qui rend le disque moins sombre qu’une bonne partie de Wild Honey.
Le travail paraissait bien avancé quand Mike Love revint d’Inde en mars. Il ajouta sa voix et puis il contribua à certaines chansons, d’une simplicité un peu déconcertante, mais agréables. En avril, les enregistrements étaient finis. Le disque sortit le 24 juin 1968.
Les derniers feux de Brian Wilson ?
Depuis Wild Honey, Brian Wilson n’avait plus la mainmise complète sur les enregistrements du groupe. Il restait une force créatrice, mais apparemment de plus en plus en retrait. Mais ce n’est pas tout à fait vrai. Brian était encore productif, même si son (auto ?) biographie laisse penser le contraire. Certes, il y a plusieurs titres en collaboration, mais il apportait des ornements, des idées complémentaires. Comment ne pas attribuer les cloches de Be Here In The Morning à Brian, dont on reconnaît aisément les chœurs dans le refrain ? Et le Little Bird de Denis Wilson (Brian n’est pas crédité) est partiellement issu du Child Is The Father Of The Man de Smile ! Brian était encore une figure tutélaire, même s’il n’avait apparemment plus la mainmise sur le choix des titres. On ne peut qu’être surpris de la mise à l’écart d’I Went To Sleep, qui parut finalement sur le patchwork 20/20 (We’re Together Again, pourtant dans l’esprit de l’album, fut enregistrée après la sortie de l’album).
On objectera que Sunflower voire Surf’s Up sont les véritables derniers feux de Brian Wilson. Mais sur Friends, il ne paraît pas encore collé au décor, comme une photo du passé sur un cliché contemporain. Brian était encore là réellement, pas artificiellement le temps d’un ou deux titres, ou par le biais d’une fouille en règle dans ses archives sonores. Toutefois, le changement d’esprit était là… Busy Doin’ Nothin’ et I Went To Sleep attestent de la mise en sommeil, de l’indolence nouvelle de ce bourreau de travail de génie qu’était Brian Wilson, dont les ailes d’Icare avaient été immolées en voulant trop se rapprocher du soleil de la perfection artistique.
Détail important : l’album n’est sorti qu’en stéréo. Adieu la monophonie wilsonienne…
Une harmonie amicale ?
Friends paraît un album plutôt apaisé, l’un de ceux que l’on se plaît à écouter pour démarrer la journée de bonne humeur… du moins jusqu’à Busy Doin’ Nothin’. Album de sérénité, mais aussi album aux allures un peu dissonantes, pas seulement à cause du piano désaccordé qu’affectionnait alors Brian. La fin du disque est moins sereine… Et cette harmonie, n’était-elle pas de façade ? Les querelles artistiques n’allaient pas tarder à venir.
L’album commence dans la quiétude et l’exceptionnelle douceur de la voix de Mike Love sur le très court Meant For You. Un présent pour les fans qui avaient fait défection ? Quoi qu’il en soit, c’est une introduction idéale pour le disque, que Brian reprit par ailleurs pour l’album lié au documentaire de Don Was, I Just Wasn’t Made For These Times en 1995.
On enchaîne ensuite avec la chanson-titre, qui sortit en single (47e place au Billboard). La Wrecking Crew est bien là, avec un rythme de valse apparemment étudié dans les écoles de musique. L’harmonie vocale et la richesse instrumentale (excellent harmonica) retrouvent un niveau digne de l’album Today ! ou de Summer Days (And Summer Nights !!!). C’est un très bon single, mais totalement en décalage avec les productions d’alors. Un son 1965-1966 alors que n’allaient pas tarder à gronder des sons plus marteleurs, plus lourds, plus violents, à l’exemple de la musique des Stooges, qui allait surgir en 1969… La jeunesse était contestataire, elle voulait en découdre, et là, les Boys sortirent un hymne à l’amitié… Ce message était adressé au public ou aux membres du groupe ?
Wake The World est tout aussi riche musicalement. La collaboration Brian-Al est très efficace. Be Here In The Morning, avec ses changements de tempo et ses cloches célestes, est l’un des plus grands moments du disque. Les chœurs, pas aussi alambiqués que ceux de Pet sounds ou Smile, sont très beaux. Le break d’orgue est assez surprenant, car très simple (simpliste ?) pour les Beach Boys, mais la transition est des plus efficaces, avec une batterie impeccable. Wake The World et Be Here In The Morning sont comme des peintures du lever au petit matin. On s’ouvre au monde… avant de faire part de la sérénité du groupe en Amour. When A Man Needs A Woman, écrite à plusieurs, a un orgue très présent et une guitare très laid-back, qui résume l’atmosphère du disque : apaisée.
La première face de l’album se termine par Passing By, morceau semi-instrumental (il y avait des paroles, qui n’ont pas été enregistrées). Ce titre permet d’apprécier la belle voix de Brian Wilson, qui était capable de chanter des chœurs sans pareil. Cette balade dans la rue mise en musique conclut joliment la première partie du disque.
Vient la deuxième partie, avec un morceau estampillé Mike Love, inspiré par une guérisseuse. Le morceau est extrêmement minimaliste, et aurait certainement été refusé si ça avait été un autre groupe et surtout s’il n’y avait pas ces voix toujours aussi impeccables. Le morceau est assez anecdotique, mais il s’écoute parfaitement.Little Bird est la première contribution sérieuse de Dennis Wilson à un disque des Beach Boys (oubliez son solo de batterie en final de Shut Down Vol. 2!). Brian l’avait officieusement aidé et le passage suivant le solo de violoncelle, marqué par une superbe accélération et une trompette voit en fait surgir comme un diable à ressort le Child Is The Father Of The Man de Smile ! Même définitivement enterré en apparence, le spectre de Smile était encore là. Et il ne manqua pas de revenir jusqu’en 1971… Be Still est extrêmement minimaliste : un orgue et la voix brisée de Dennis. Le morceau est émouvant grâce à cette voix touchante, qui nous manque. Cette chanson fait un peu penser dans l’esprit au You Are So Beautiful, chanson pour laquelle Dennis Wilson contribua à la composition.
Brian revient avec un Busy Doin’ Nothin’, qui est l’un des morceaux les plus élaborés de l’album. On pourrait croire que Brian était en train de se ressaisir, mais c’était finalement un des premiers signes d’adieu du génie, qui glissait progressivement sur la pente de l’inactivité. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un grand morceau.
Diamond Head est une collaboration, avec trois membres de la Wrecking Crew. Morceau à la mode hawaïenne élaboré ou jam session entre les trois musiciens et que Brian organisa de façon à en faire un instrumental assez étrange, à mi-chemin entre Let’s Go Away For A While et les sonorités de Smile ? Difficile de savoir. Il était un temps où on pensait y entendre une version de The Elements : Water, d’autant plus que I Love To Say Da Da devint, après avoir été transformée en Cool Cool Water, In Blue Hawaii.
Transcendental Meditation est issu du voyage de Mike Love en Inde… mais c’est Brian qui chante. Le morceau est tout, sauf apaisé. Il n’est pas du tout méditatif. Il ne colle pas à l’esprit du disque. De plus, il est affublé d’un edit des plus maladroits, à croire que Brian Wilson s’était rebellé contre Mike Love en sabotant le titre ! Fin curieuse pour un album qui aurait pu s’achever par I Went To Sleep, qui avait déjà été enregistrée, ou par Can’t Wait Too Long, certes inachevé, mais pourtant exceptionnel. Can’t Wait Too Long aurait été le plus audacieux depuis Good Vibrations, mais il resta dans les limbes musicales jusqu’en 1990…
Friends est l’album préféré de Brian Wilson, selon son (auto ?) biographie. Son classement fut catastrophique et marqua apparemment fortement la force créatrice du groupe, qui se retira progressivement… He went to sleep…