Summer Days (And Summer Nights!!) (1965)
90 kilos et de la moustache
Les California Girls en question doivent aujourd’hui peser 90 kilos et avoir de la moustache. Qu’importe : la chanson, elle, n’a pas pris une ride. Titre phare de l’album Summer Days (And Summer Nights!!), California Girls saisit son auditeur dès les premières secondes. En guise d’introduction, un motif de guitare sibyllin, comme échappé d’un rêve, s’étire sur quelques mesures, puis se referme pour laisser place au rythme chaloupé des couplets, aux harmonies en cascade du refrain, à des accords évoquant déjà le psychédélisme (Brian aurait écrit ce titre sous LSD). Un tel porte-à-faux aurait pu rebuter le public, mais non : la chanson se classe troisième aux États-Unis. Brian Wilson, lui, la considère depuis toujours comme sa meilleure.
Un album fourre-tout
Peut-être faut-il voir, dans ce parfait amalgame entre les thèmes habituels des Beach Boys (les filles, la Californie) et les audaces de leur leader, le souci pour Brian d’éviter une mutinerie (Mike Love lui reproche alors de s’éloigner de la formule à succès du groupe) tout en maintenant des ambitions artistiques élevées. Hélas, au vu des perspectives ouvertes par Today! (Brian était visiblement prêt, dès cet instant, à entreprendre Pet Sounds), ce compromis s’apparente à une régression. The Girl From New York City ou Salt Lake City sonnent comme des fonds de tiroir de l’époque Surfin’ USA exhumés pour l’occasion. Une hypothèse pas si farfelue quand on voit la vitesse à laquelle ce neuvième album a été assemblé : Today! n’est sorti que trois mois auparavant ! De même, Help Me, Rhonda, en tête des ventes au printemps 1965, ne déroge pas à une certaine « méthode Beach Boys ». Au moins le résultat est-il toujours aussi jouissif. On ne peut en dire autant de You’re So Good to Me, qui mériterait la censure pour avoir inspiré le répertoire entier des Rubettes.
Il serait injuste, cependant, de ne voir en Summer Days (And Summer Nights!!) qu’une redite : certains morceaux, souvent peu connus, annoncent déjà Pet Sounds. Summer Means New Love, par exemple, rend compte en deux minutes des progrès de son auteur, passé d’instrumentaux rhythm and blues traditionnels (auxquels se rattache encore le thème principal) à une musique sans schémas établis, comme directement connectée à ses émotions. On y retrouve en outre l’une des caractéristiques du génie « wilsonien » : dans ce morceau, comme plus tard dans Let’s Go Away for Awhile ou Pet Sounds, la richesse des arrangements s’efface derrière la délicatesse de l’écriture et le toucher de la production. Combien de songwriters aux aspirations « symphoniques » n’ont pu, eux, éviter l’emphase et la grossièreté ?
Let Him Run Wild
Si Then I Kissed Her est une reprise convaincante du Then He Kissed Me des Crystals, Girl Don’t Tell Me revisite également, mais de façon plus discrète, un morceau célèbre. Le modèle, jamais revendiqué mais évident à l’écoute, n’est autre que Ticket To Ride des Beatles. Entre les mains de Brian Wilson, la chanson des Fab Four perd en énergie ce qu’elle gagne en intimisme. Un juste résumé, au fond, de ce qui distinguera toujours les deux groupes. Girl Don’t Tell Me permet en outre à Carl Wilson de signer son premier « lead vocal » sérieux, un détail notable quand on sait que lui seront bientôt confiés deux des plus grands classiques des Beach Boys, God Only Knows et Good Vibrations.
Reste que le vrai chef-d’œuvre de Summer Days s’appelle Let Him Run Wild. L’entrée somptueuse de la basse, les chœurs, ce refrain qui s’embrase dans le falsetto déchiré de Brian et s’évanouit dans le murmure de Mike Love (« Waited for you girl… ») : tout concourt à faire de cet hymne jaloux l’une des perles du quintette, et le sommet d’un disque aussi inégal qu’un tracé de montagnes russes. Amusement Park USA !
Presse française
Archives Vinyles n°1, mars 2016, chronique