That Lucky Old Sun (2008)
Le 2 septembre 2008 parut That Lucky Old Sun, premier album solo de Brian Wilson depuis le réenregistrement et la réorganisation de SMiLE (on peut mettre à part What I Really Want For Christmas, qui est une œuvre à part), qui, à l’époque, aurait dû mettre fin aux spéculations autour de l’album et mettre fin aux recherches le concernant (finalement, ce ne fut qu’un début).
Ce nouvel album fut globalement salué, considéré comme la preuve que Brian Wilson Presents SMiLE avait relancé le Mozart du XXe siècle, prêt à reprendre le chemin des studios et enchanter de nouveau les mélomanes. De plus, le retour chez Capitol était censé incarner ce retour aux sources, au même titre que la participation de Van Dyke Parks. Mais, sans remettre en question la qualité de l’œuvre, qui est de haute tenue, nous sommes-nous emballés trop vite ?
Une commande
That Lucky Old Sun était au départ une commande. Ce devait être la musique d’une série de concerts donnés au Southbank Centre de Londres, ce qui fut effectivement le cas en septembre 2008, avant que les représentations ne se jouassent en juin 2008 à Sydney.
Voilà qu’on revenait sur les traces de la « résurrection » de SMiLE, si on peut parler ainsi (SMiLE ressortit de plusieurs façons comme un diable à ressort entre 1967 et 1971, sans compter Rio Grande dont une étude approfondie permet de conclure à une tentative de reconstitution solo de l’esprit du disque voire plus). Une série de concerts, avant un enregistrement studio. Il fallait trouver un concept puisque SMiLE est considéré comme un album conceptuel (l’est-il vraiment ?). Du coup, on se focalisa sur Los Angeles, citée de façon récurrente, notamment dans les interludes, et sur le soleil californien.
On reprend une formule gagnante … Pourquoi changer une équipe qui gagne ?
Une anthologie wilsonienne ?
Comme dans Brian Wilson Presents SMiLE, Brian est entouré des Wondermints. D’une fidélité absolue au Maître, ils se présentent comme les scribes de sa pensée mélodique. En revanche, c’est un collaborateur de longue date, Scott Bennett, qui avait participé à l’album Imagination, qui co-signe quasiment tous les titres avec Brian.
Le concept de l’album semble être un panorama de l’œuvre de Brian Wilson mais aussi de son esprit, de ses goûts. On a bien sûr les clins d’œil aux Beach Boys à travers l’image du soleil californien et aux surfeuses, mais aussi une allusion notable au goût de Brian pour le jazz. En effet, That Lucky Old Sun est avant tout un standard de jazz des années 1940. L’album suivant, consacré à Gershwin, est donc moins surprenant quand on a ça à l’esprit. Mieux encore, les compositeurs, Gillespie et Smith, avaient également composé The Old Master Painter, dont la mélodie est interprétée au violoncelle sur … SMiLE. Tout cela ne risque-t-il pas de faire un peu cliché ? Voyons cela de suite …
On ouvre le disque avec That Lucky Old Sun, qui offre une introduction rappelant tant les Beach Boys (les chœurs) que Disney (les bois et les cordes), et là aussi, In The Key Of Disney surprendra moins …
Vient ensuite Morning Beat, d’une grande richesse instrumentale. Brian semble très en forme vocalement. Il semble se donner. Ce titre est vraiment dans l’esprit des Beach Boys … ou plutôt de Brian Wilson (pour comprendre l’œuvre des Beach Boys et de Brian Wilson, il faut tout analyser, connaître les contextes et tout et tout, car certaines œuvres sont à clé). La raison est simple. Quand on tend l’oreille, on trouve que Morning Beat a des airs de Walkin’ The Line dans les couplets, c’est-à-dire des airs de Shortnin’ Bread, la fameuse comptine qui obséda (et qui obsède donc encore) Brian. D’ailleurs, la bonne transition Room In A View a un fond sonore qui fait penser à une version ralentie de Shortnin’ Bread …
Good Kind Of Love est créditée uniquement à Brian. C’est un titre très jazzy (encore un jalon avant Gershwin ?). L’interprétation du titre est extrêmement soignée et le tout est jouissif. Et là, on pense immanquablement à Soulful Old Man Sunshine, merveilleux titre des Beach Boys resté inédit jusqu’en 1998. L’album That Lucky Old Sun revisite vraiment le passé wilsonien.
Forever She Will Be My Surfer Girl rappelle forcément Surfer Girl, puisque tout est dit dans le titre … mais ça s’arrête là. On y entend bien Jeff Foskett, doublure (ou plutôt remplaçant) de Brian pour les falsettos. Et là, on se demande si c’est du Brian Wilson ou du Scott Bennett. Le pont rappelle Don’t Worry Baby. C’est tout. Ce n’est pas de la « formula », mais plutôt de la « nostalgia ».
Après l’interlude Venice Beach (qui, pour ma part, m’a un peu fait penser à Let The Wind Blow) suit Live Let Live, riche musicalement avec une belle rythmique doo wop, réminiscence de … Surfer Girl. Du coup, on ressent un manque … Il manque les vocalises des Beach Boys. Souvent imitées, jamais égalées. Malgré tout, les chœurs sont remarquables. Après quoi, le thème de départ assure la transition, car, rappelons que That Lucky Old Sun est un album conceptuel.
Mexican Girl ne sonne pas comme du Brian Wilson, sauf pour le refrain. C’est peut-être le signe d’un champ musical que Brian avait décidé d’explorer, même si ce n’est pas ce qui paraît le plus enchanteur à nos oreilles … Cinco de Mayo est une transition en lien avec Mexican Girl, mais c’est tout. Le pseudo-langage latino est plus amusant qu’autre chose. Il n’y a pas la finesse du baragouinement en yaourt qu’on pouvait trouver dans le titre Sun King des Beatles.
California Role a une rythmique très rock and roll, avec un chant rappelant les couplets d’Add Some Music To Your Day. C’est une chanson de qualité, qui regarde en arrière, encore une fois, après quoi, le thème That Lucky Old Sun reparaît, avant la transition Between Pictures, qui renoue avec la dédicace à Los Angeles.
Oxygen To the Brain est un autre titre jazzy, mais plus rythmé que Good Kind Of Love. Vient ensuite Can’t Wait Too Long. Inutile de revenir sur cette chanson exceptionnelle, qui aurait mérité d’être publiée en 1968. Seule l’introduction est interprétée. C’est beau, mais moins profond que l’originale. De plus, on ne comprend pas le lien avec le concept de l’album. Can’t Wait Too Long enchaîne avec Midnight’s Another Day, qui est un des sommets de finesse de l’album. C’est un titre mature, suivi d’une nouvelle reprise de That Lucky Old Sun, qui fait presque penser à une fin comme celle orchestrée sur SMiLE avec la reprise de Our Prayer à la suite de In Blue Hawaii.
Going Home commence … Ce rock cyclique est entraînant, avec un harmonica qui n’est pas habituel chez Wilson … Et encore une fois, on retrouve le motif de Shortnin’ Bread. L’obsession est encore là … Ne serait-ce donc qu’un Shortnin’ Bread remanié par Scott Bennett ?
Le titre final, Southern California lorgne encore vers le domaine de la « nostalgia », avec l’évocation de Dennis et Carl … Sincérité ou orchestration complètement téléphonée ? Quoi qu’il en soit, c’est un beau final.
Va-t-il bien ? Maîtrise-t-il son œuvre ?
Beaucoup de questions se posent à l’écoute de l’album That Lucky Old Sun, qui est plus qu’agréable, à la production un peu trop propre sur elle, pas vraiment aventureuse, mais qui reste dans un esprit wilsonien.
Toutefois, des questions sont à soulever. Dans quel état se trouve Brian ? Une vidéo où lui et son groupe interprètent Can’t Wait Too Long et Midnight’s Another Day est révélatrice. Lors de l’interprétation du premier titre, Brian, ne fait rien et a le regard ailleurs.
Une nostalgie orchestrée plane autour du disque, avec des références presque caricaturales, digne des sempiternelles citations de chansons des Beatles dans les disques de Ringo Starr.Les fans se sont amusés et s’amusent encore à trouver des références aux chansons passées, d’un point de vue mélodique. Cela ne nous semble pas de la redite. C’est juste que Brian, immense compositeur, n’a plus la même capacité mentale et créative, malheureusement. Quel fut le rôle de Scott Bennett dans la conception de That Lucky Old Sun ? Bennett reconnaît dans une interview publiée sur le blog Wobblehouse qu’« après avoir joué sur l’album Imagination de Brian Wilson, [il] pensa qu’il pourrait essayer d’écrire avec lui [s’il vivait] en Californie ». Il ajoute avoir « eu la chance non seulement d’écrire avec Brian, mais de co-produire et mixer » That Lucky Old Sun. Dans le livret du disque, Bennett est crédité pour une « production additionnelle » et pour les « arrangements additionnels » (avec Darian Sahahnaja dans le dernier cas). Il est dit qu’il a co-mixé, le « co » ayant été oublié dans l’interview. Oubli ou véritable lapsus ? La question reste ouverte.
Quant à Shortnin’ Bread, sa résurgence peut, selon les goûts, soit montrer la cohérence de l’œuvre wilsonienne, soit rappeler que Brian n’est jamais à l’abri d’une régression mentale.
Du coup, il vaut mieux plutôt se réjouir de la sortie d’une œuvre de très bonne facture de Brian Wilson, entouré de musiciens l’admirant et l’aidant à être toujours présent sur la scène musicale.