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... in our room ...

Presents Smile (2004)

Sur de bons rails

En 2003, Brian Wilson, remis sur de bons rails musicaux après des concerts revisitant sa carrière (dont est issu le Live At The Roxy) et une tournée Pet Sounds (avec un autre live), prit une décision surprenante. Son backing band, composé essentiellement des Wondermints mais aussi du guitariste de tournée des Boys Jeff Foskett, a une admiration sans bornes pour son œuvre, notamment l’inachevé Smile. Avec Internet, tout le monde a pu en écouter des extraits, choisis plus ou moins judicieusement selon les versions. Tout le monde cherchait à reconstruire le puzzle. Tout le monde se demandait s’il y aurait eu autant d’instrumentaux ou pas. Bref, difficile de ne pas être fasciné. Le backing band rêvait de Smile. Brian décida de le finir.

La tâche n’était pas aisée. En effet, aucun ordonnancement définitif n’avait été établi. Les Smile Sessions de 2011 n’ont fait que le confirmer, au vu de l’immense puzzle géant. Le défi était lancé : finir en 2004 ce qui n’avait pu l’être en 1967. Van Dyke Parks fut de la partie, comme au bon vieux temps, pour compléter les paroles des chansons.
L’idée était de répéter pour des concerts consistant à jouer entièrement l’album. Le 20 février 2004, ce fut une standing ovation au Royal Festival Hall de Londres. Le jeu en valait donc la chandelle. A la mi-avril, les chansons furent enregistrées (avec des overdubs ultérieurs). Ce qui est remarquable, c’est qu’il y a eu une écoute rigoureuse des bandes master des sessions de 1966-1967, afin de coller le plus possible à l’esprit d’origine de l’album et au son de l’album. Le 28 septembre, l’album sortit et fut généralement encensé.

Quelque chose de particulier

Il y a quelque chose de particulier à signaler à propos de ce disque. Il y a comme une sorte d’avant et d’après Smile Sessions. On a parfois l’impression qu’il est passé d’achèvement de l’œuvre à note de bas de page de son histoire ou d’ersatz de Smile. Pourtant, c’est la seule version entièrement achevée, et surtout on ne peut remonter dans le passé, bâillonner Mike Love pour empêcher le départ de Van Dyke Parks, jeter au feu les drogues prises par Brian et jouer le coach pour le soutenir à fond pour qu’il finisse son œuvre.

On critique beaucoup l’infériorité vocale de Brian et de son groupe par rapport aux intouchables Boys de 1966-1967. Tout le monde vieillit, que peut-on y faire ? Mais il faut se rendre à l’évidence. Un Good Vibrations de 1966 sera toujours supérieur à un Good Vibrations de 2004. Un Surf’s Up de 1966 ou de 1971 sera toujours supérieur à celui de 2004. Pareil pour Cabin Essence. On ne peut pas ressusciter Carl. Pas même la voix angélique de Brian en 1966-1967. Même Mrs. O’Leary’s Cow est supérieure dans sa version originale alors qu’il s’agit d’un instrumental. Mais quel est donc le problème dans ce dernier cas ? La technologie. La production de Brian Wilson Presents Smile est trop synthétique. Les pianos sont souvent des synthés. Le clavecin l’est indubitablement. Comparez Do You Like Worms ? avec Roll Plymouth Rock. Le clavecin de 1966 est réel… et extrêmement flippant. En 2004, c’est beaucoup plus soft. Mrs. O’Leary’s Cow (oui ! l’inquiétant Fire !) souffre du même problème. La version 2004 fait plus reproduction avec une introduction aux sonorités moins agressives et qui font plus fête foraine. En 1966, le son était plus dément. On sent les flammes descendre, courir, avec les pompiers qui courent partout. Néanmoins, la partie guitares fait le même effet tant en 1966 qu’en 2004, et là, on ne peut que tirer notre chapeau. Serait-ce juste une histoire de « vibrations » ? Les « bad vibrations » de 1966 auraient-elles été à l’origine de ces atmosphères inquiétantes, disparues en 2004 ?

Du coup, on peut se poser une question. N’avons-nous pas deux (voire trois, si on compte Smiley Smile) versions antagonistes tout en étant jumelles de la même œuvre ? En 1966-1967, on perçoit beaucoup de dépressions, d’anxiété, d’inquiétudes, de peurs dans les Smile Sessions d’un point de vue sonore, perception aggravée dans Smiley Smile. Brian Wilson Presents Smile est bien plus apaisé, on a envie de rire, de sourire. Cela est peut-être aussi dû à la conscience du miracle de la résurrection de pareille œuvre.
Le programme nous annonce trois mouvements. Le premier, abordant l’histoire de l’Amérique, va de Heroes And Villains à Cabin Essence, où l’on croise le Far West, les Indiens, les puritains du Mayflower, le chemin de fer. Un deuxième mouvement, autour de l’enfance, se dévoile de Wonderful à Surf’s Up, avec un véritable enchaînement tant mélodique que textuel. La troisième, un peu moins cohérente, mais comprenant une reconstitution des « éléments », conclut l’album, avant le final Good Vibrations, comme promis sur la pochette de Frank Holmes. Les « éléments » portent à caution, puisque, pour ne prendre qu’un seul exemple, I’m In Great Shape et Workshop devaient suivre Fire, puisqu’après le feu, il y a la reconstruction. On l’aura compris. On a une version de Smile et non pas Smile, qui n’existera jamais. D’ailleurs, maintenant que nous avons eu droit au coffret, n’importe qui de téméraire pourrait faire son disque et créer sa version de douze minutes de Heroes And Villains.

Suivons le déroulement

A présent, suivons le déroulement du disque. Afin de garder la fraîcheur d’une chronique inspirée par la nouveauté, je me suis beaucoup inspiré d’un texte que j’avais écrit sur le forum du site Yellow-sub.net après ma première écoute de Brian Wilson Presents Smile, soit avant les Smile Sessions. Toutefois, je compléterai ces impressions jadis immédiates par des allusions aux autres versions disponibles depuis 1966-1971 (dans les différents disques des Boys parus alors) et depuis 2011 grâce aux Smile Sessions.

Our Prayer ouvre le disque, comme cela était prévu depuis toujours. Cette chanson ne peut être placée qu’ainsi sur un disque (quel mauvais emplacement sur 20/20 ! Ca fait bonus track avant l’heure !). Elle donne des frissons, analogues aux versions de 20/20 et des Smile Sessions. Certes, les voix ne sont pas aussi angéliques que celles des Boys, mais c’est très bien interprété. Gee, directement accouplé à Our Prayer (les deux titres constituent une seule et même piste). Cette transition, intrigante et festive, assure la transition chorale vers Heroes And Villains. Le spectacle commence…
Quelle surprise d’entendre une version de cinq minutes de Heroes And Villains ! [Réfléchissez comme si on était à l’époque où les Smile Sessions n’existaient pas voire à celle où aucun bootleg n’avait reconstitué Smile à partir de Brian Wilson Presents Smile !] Bon, le passage Bicycle Rider a été maintenu, même s’il n’était pas prévu à l’origine, mais au moins, on nous gratifie de la « cantina section ». Après 2011, l’intérêt principal de cette version, fort dynamique et jouissive au demeurant, est la conclusion totalement inédite.
Roll Plymouth Rock, alors connu sous son ancien nom (Do You Like Worms ?), a enfin des paroles. Elles existaient dès 1966, mais n’avaient pas été enregistrées à l’époque. On est avec les passagers du Mayflower… mais que diable vient faire l’histoire d’un cycliste ici ? Le morceau est moins inquiétant avec son clavecin synthétique. On a perdu en atmosphère, même si on a gagné une chanson complète.
Barnyard, qui devait être une section de Heroes And Villains un moment donné (tout comme I’m In Great Shape), est excellemment interprétée. Seulement, l’intérêt que je portais à cette version a forcément baissé quand a été publiée la version des Smile Sessions combinant le backing track avec la démo au piano. Entre la voix de Brian sexagénaire et celle angélique de ses vingt-quatre ans, il n’y a pas photo… Mais c’est un bon moment du disque…
The Old Master Painter / You Are My Sunshine est très bien mimée par rapport à la version de 1966-1967. Elle assure également le rôle de transition parfaitement.
Cabin Essence est bien interprétée… mais après la version connue dès 1969, on se dit que ce n’est qu’une interprétation. Mais il fallait qu’elle apparaisse sur le disque, non ? On quitte les champs de maïs et les corbeaux pour passer au deuxième mouvement.
L’enchaînement est impeccable, d’une grande cohérence. Wonderful reproduit parfaitement la version Smile, mais avec une fin qui n’est pas abrupte. Au contraire, on transite en douceur vers Song For The Children, connue sous le nom de Look. La reprise de sections de Good Vibrations (déjà présente en 1966-1967) suggère l’idée d’une annonce plus large de la suite sonore, devant s’achever par Good Vibrations. Child Is The Father Of The Man est également finalisée, avec des paroles. Toutefois, il s’agit plus d’une transition, ce que met en évidence la fin inédite de la chanson, reprenant la mélodie de Surf’s Up. De toute façon, on peut avoir que l’impression que Brian savait que ce ne pouvait être une chanson complète. Elle a surtout servi à compléter des chansons, comme Little Bird sur Friends en 1968 ou Surf’s Up. Et justement, cette dernière conserve en 2004 son final. Forcément, il est impossible de rivaliser avec la version où Carl chante ou celle fondée entièrement sur la merveilleuse démo de Brian. Même la version de 1967, interprétée par un Brian complètement ailleurs, tient haut la dragée grâce à la voix du génie. Néanmoins, on est touché par l’interprétation, surtout quand on pense aux vicissitudes subies par Brian. Et le final, encore inédit, « A child… », conclut en beauté la deuxième section.
I’m In Great Shape a une introduction nouvelle, qui rappelle Heroes And Villains. Clin d’œil à son ancien statut de section de cette dernière ? L’ensemble que ce titre forme avec I Wanna Be Around et Workshop fonctionne, transitant naturellement vers Vega-Tables.
Vega-Tables est censé nous faire entrer dans la section des « éléments ». Or, on pourrait se demander si cette section existe vraiment sur le disque, sachant qu’on ne voit pas de suite solide autour de ces thèmes. Certes, on a la terre (Vega-Tables), le vent (Wind Chimes), le feu (Mrs. O’Leary’s Cow) et l’eau (In Blue Hawaii), mais le reste ? On A Holiday coupe la suite, qu’en penser ? Quoi qu’il en soit, nous sommes gratifiés d’une très bonne version de Vega-Tables, que je préfère d’ailleurs aux versions des Smile Sessions, dont je n’aime pas personnellement la conclusion (elle est caméléon, ressemblant à des chœurs de Heroes And Villains, à la section centrale de Wonderful sur Smiley Smile, et même un peu à Whistle in). La conclusion en 2004 est plus naturelle.
On A Holiday est calquée sur la version originale, sauf qu’elle a des paroles, qui reprennent Roll Plymouth Rock. Conceptuel ? Vous avez dit conceptuel ?
Même chose pour Wind Chimes et Mrs. O’Leary’s Cow. C’est calqué sur les originaux. Sauf que la seconde chanson m’a paru interprétée de manière plus festive… à croire que Brian ne voulait pas réveiller les « bad vibrations »…
In Blue Hawaii conclut la mutation d’un morceau dont l’origine est finalement incertaine… I Love To Say Da Da, combinée au Water chant, est un titre qui peut être tant un titre faisant penser à l’eau, qu’aux bruits d’enfants… Impossible de savoir si le titre devait atterrir sur Smile ou pas, même si on conclut l’histoire des sessions de l’album avec ce titre, en mai 1967. Le Water chant fut combiné en 1970 avec un titre originellement issu des sessions de Wild Honey : Cool cool water. In Blue Hawaii est la dernière incarnation du Water chant, qui sert d’introduction, avec des paroles nouvellement écrites par Van Dyke Parks. Il s’agit bel et bien de la finalisation d’I Love To Say Da Da et donc, hormis la présence du Water Chant, rien ne nous permet d’établir un lien avec Cool cool waterr. Le retour des chœurs de Our Prayer nous annonce la fin du spectacle, mais il faut toujours un final…
… et c’est ainsi que le disque se conclut avec Good Vibrations. Melinda, actuelle femme de Brian, avait suggéré d’utiliser les paroles originelles de Tony Asher. Seulement, il a fallu aussi créditer Mike Love, car le refrain d’origine était naturellement moins bon que celui avec les paroles du cousin terrible. Les paroles d’Asher paraissent plus cérébrales et moins sentimentales que celle du single à succès de 1966. Mais il faut être franc : la version de 1966 est indépassable, et le clou a été enfoncé en 2011 avec les Smile Sessions, où est incluse la section « hum be dum », alors uniquement connue comme un élément épars destiné à donner une idée des sessions d’enregistrement de Good Vibrations.

Le mètre-étalon

Brian Wilson Presents Smile est le mètre-étalon de Smile. En effet, il servit tant aux bootleggers qu’aux concepteurs des Smile Sessions. Le puzzle a été reconstitué d’une certaine manière… mais il a été quand même reconstitué.
Cette sortie inespérée n’a pas fait que des heureux… Mike Love porta plainte contre Brian pour rupture de collaboration musicale, car il considérait que Smile était une œuvre des Beach Boys et que, tel un artiste ayant eu une commande exclusive qu’il n’avait pas honorée, Brian devait le dédommager ! Mike fut débouté… et c’est là qu’on se dit que la reformation des Boys en 2012 tient du miracle… tout comme l’achèvement de Smile.

Presse française

Recording n°32, avril 2004, Pet Sounds (Jay Alanski), Surf's Up! (Florent Mazoleni) et Brian Wilson plays Smile (Christophe Geudin)
Inrockuptibles n°460, 22 septembre 2004, Brian Wilson Presents Smile - petit encadré
Inrockuptibles n°461, 29 septembre 2004, Wonderfool Smile (Christophe Conte)
Télérama n°2858, 20 octobre 2004, Brian Wilson Presents Smile, chronique (François Gorin)
Télérama n°?, ? 2004, Les vies de Brian, Chronique de "Presents Smile"
Rock & Folk n°509, janvier 2010, Discographie 2000-2009 (Basile Farkas)
Jazz Magazine HS n°13, juillet 2018, Chronique (Jérôme Plasseraud) initialement parue dans le n°1 du magazine Muzik en novembre 2004

Titres

  • Our Prayer/Gee
    (Brian Wilson/William Davis - Morris Levy)
  • Heroes And Villains
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks)
  • Roll Plymouth Rock
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks)
  • Barnyard
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks)
  • The Old Master Painter/You Are My Sunshine
    (Haven Gillespie - Beasley Smith/Jimmie Davis)
  • Cabin Essence
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks)
  • Wonderful
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks)
  • Song For Children
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks)
  • Child Is The Father Of The Man
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks)
  • Surf's Up
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks)
  • I'm In Great Shape/I Wanna Be Around/Workshop
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks/Johnny Mercer - Sadie Vimmerstedt/Brian Wilson)
  • Vega-Tables
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks)
  • On A Holiday
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks)
  • Wind Chimes
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks)
  • Mrs O'Leary's Cow
    (Brian Wilson)
  • In Blue Hawaii
    (Brian Wilson - Van Dyke Parks)
  • Good Vibrations
    (Brian Wilson - Mike Love - Tony Asher)
  • Bonus Tracks :
  • Heroes And Villains (Instrumental)#
  • Cabin Essence (Instrumental)#
  • On A Holiday (Instrumental)#
  • Wind Chimes (Instrumental)#

Produced by Brian Wilson

Editions originales
(US) Nonesuch - 79846-2 - 09/2004 ❬cd❭
(US) BriMel Rhino - R1 76582 - 09/2004 ❬vinyle❭#
(UE) Nonesuch - 7559-79846-2 - 09/2004 ❬cd❭
(UE) Nonesuch - 7559-79846-1 - 09/2004 ❬vinyle❭#
(UE) Nonesuch - 7559-79914-2 - 2005 ❬cd❭

Publicité Brian WIlson Presents Smile Publicité parue dans le magazine Les Inrockuptibles n°460 du 22 septembre 2004

Albums

Brian Wilson (1988)

Brian Wilson

I Just Wasn't Made For These Times (1995)

I Just Wasn't Made For These Times

Orange Crate Art (1995)
with Van Dyke Parks

Orange Crate Art

Imagination (1998)

Imagination

Live At The Roxy (2000)

Live At The Roxy

Pet Sounds Live (2002)

Pet Sounds Live

Gettin' In Over My Head (2004)

Gettin In Over My Head

Presents Smile (2004)

Presents Smile

What I Really Want For Christmas (2005)

What I Really Want For Christmas

That Lucky Old Sun (2008)

That Lucky Old Sun

Reimagines Gershwin (2010)

Reimagines Gershwin

In The Key Of Disney (2011)

In The Key Of Disney

No Pier Pressure (2015)

No Pier Pressure

And Friends (2016)

And Friends

Playback : The Brian Wilson Anthology (2017)

Pochette Brian Wilson Playback

At My Piano (2021)

Pochette de l'album At My Piano

Long Promised Road (2021)

Pochette de l'album Long promised Road