Orange Crate Art (1995)
La parution de cet album en octobre 1995 suit de peu celle de I Just Wasn’t Made For These Times, conçu par le producteur Don Was et dans lequel Brian réinterprète certains de ses titres favoris en petit comité1. A l’époque, il ne fait plus officiellement partie des Beach Boys (absent de l’enregistrement de Kokomo en 1988, il ne participera pas non plus à l’album de 1992, Summer In Paradise). Malgré tout, il a commencé à enregistrer quelques titres avec Andy Paley, destinés à son ancien groupe2. Sa rencontre avec Parks en vue de l’album n’est guère prometteuse : celui-ci évoque un Brian seul, vautré devant la télévision3. Par la suite, son implication dans Orange Crate Art semble pour le moins discuté : même si l’album paraît partiellement sous son nom, les avis divergent quant à son rôle exact. Si Paul Williams considère qu’il a fait plus que chanter4, ce n’est pas l’avis de Van Dyke Parks lui-même qui décrit la première session d’enregistrement où Brian lui demande ce qu’il fait là5. Quoi qu’il en soit, Brian va participer activement à l’album, non en tant que compositeur, mais en tant que vocaliste, enregistrant toutes les pistes vocales.
Le thème de l’album, c’est la Californie, déclinée en plusieurs vignettes, dont une reprise (déjà) de Gershwin à la fin du disque (Lullaby). Une sorte de Californie éternelle, intemporelle, rêvée. Domenic Priore évoquait à son sujet les noms de Steinbeck et Stephen Foster6. On peut également ajouter les noms des peintres que Parks a choisis pour illustrer littéralement son album, car Orange Crate Art est un disque qui s’écoute autant qu’il se voit (avis aux téléchargeurs illégaux : il faut absolument posséder l’album avec ses reproductions si l’on veut avoir une chance d’y pénétrer) : Emil Kosa, Alfred Mitchell (auteur de la toile, Nipomo Hills qui sert de pochette à l’album). C’est l’un des atouts de l’album, cette sorte de communication intellectuelle entre le visuel et le musical. C’est aussi sa limite. D’abord, parce qu’elle restreint fortement l’impact au seul public américain ; ensuite, parce que comme la visite polie d’une galerie, nous parcourons les titres sans être vraiment touchés par quoi que ce soit. C’est peut-être l’un des handicaps de Van Dyke Parks : depuis Song Cycle (Warner, 1968), il n’est jamais parvenu à insuffler à ces titres le minimum de substance qui auraient pu en faire des morceaux que l’on a envie de chanter : trop intellectuel, pas assez charnel et la surcharge instrumentale qui est sa marque n’arrange rien. C’est malheureusement le constat que l’on doit encore faire avec cet album et si on le compare avec certains titres de SMiLE (comment pourrait-on éviter cette comparaison ?), c’est une triste évidence qui apparaît : Cabinessence, Do You Like Worms ou Surf’s Up! pourraient jouer dans la même catégorie mais le rôle de Brian est alors magistral. Il parvient par "ce sens magique de l’accroche, ce don, grâce à un changement subtil d’accord ou à une trouvaille instrumentale à captiver l’auditeur"7. Ici, on reste toujours assis sur sa chaise dans une sage contemplation.
Qu’en est-il alors des vocaux ? On retrouve dans Orange Crate Art cette nouvelle technique de chant déjà en place dès le premier album de Brian en 1988 qui, pour pallier ses défaillances, l’amène à hurler parfois (Wings of a Dove, San Francisco). Mais, d’autres titres (Orange Crate Art, My Hobo Heart, Palm Tree and Moon, Summer in Monterey, My Jeanine) comptent parmi ses meilleures performances vocales depuis longtemps.
Un album étrange, donc, à la fois inactuel et parfaitement vain. Bizarrement, le public américain le boudera fortement (sans doute plus sensible l’immédiateté de l’Americana) et Van Dyke en sera fort déçu8.
1. Voir la chronique de Fadi.
2. Soul Searchin’ et You’re Still A Mystery figurent sur plusieurs bootlegs en particulier Slightly American Music et Landylocked.
3. The Guardian
4. Brian Wilson & The Beach Boys, Omnibus Press, 2003, page 188.
5. Peter Ames Carlin, Catch A Wave, Rodale, 2006, page 283.
6. "When Two Great Saints Meet" in Kinglsey Abbott, Back To The Beach, Helter Skelter, 2003, pages 221-226.
7. Gaël Tynevez, The Beach Boys (Camion Blanc, 2002), page 65.
8. "It took three years and $350,000. The record came out and sank without a trace".
Presse française
Rock & Folk n°340, décembre 1995, Chronique (Philippe Manoeuvre)