20/20 (1969)
Passé, présent, futur
Cinq types au sourire niais, vêtus de pulls de braconniers et posant comme pour une photo de classe. La pochette de 20/20 parle d’elle-même : en cette année 1969, les Beach Boys sont des ringards. Leurs surf songs gentillettes n’ont pas résisté au raz-de-marée psychédélique, pas plus que les états d’âmes de leur leader ne trouvent d’écho à l’heure où fleurissent les slogans politiques. Le groupe est à la croisée des chemins. Il lui faut désormais s’inventer un avenir.
A la recherche du temps perdu
En raccrochant le train en marche ? C’est la pire des solutions. Les hurlements de guitare sur Bluebirds Over The Mountain et All I Want To Do sont si artificiels qu’ils paraissent avoir été ajoutés après-coup pour coller à l’air du temps. Et comme cet encanaillement sonne faux... Censée casser leur image de premiers de la classe, All I Want To Do troque les voix angéliques des Californiens pour les cris forcés d’un Mike Love se prenant pour Mike Jagger, et ose même quelques références sexuelles assez risibles tant elles paraissent contre-nature. Bref, les Beach Boys sont aussi crédibles en musiciens contestataires que Pat Boone en chanteur de metal. Ce qui ne les empêchera pas de retenter le coup deux ans plus tard avec Student Demonstration Time…
Autre solution, faire au contraire comme si rien n’avait changé. Hymne aux années surf, Do It Again voudrait convaincre son auditeur qu’il fait encore un temps à sortir sa planche. Et parce que les Beach Boys, cette fois, sont dans leur élément, le résultat se hisse au niveau de certains de leurs classiques : Do It Again est un morceau entraînant, gavé d’harmonies vocales, auquel un pont merveilleux amène une touche de douceur. Reprise d’un titre des Ronettes, I Can Hear Music participe également de ce retour aux sources. Et là encore, on ne peut que s’incliner devant la voix de Carl Wilson, ces harmonies vocales d’une beauté presque impalpable ou ce pont repris a cappella.
Seule The Nearest Faraway Place, une composition de Bruce Johnston lorgnant les instrumentaux de Pet Sounds, échoue quelque peu à égaler ses modèles : le son y est plus fade que sur le mythique album de 1966. Il s’agit néanmoins d’un joli morceau de musique. Et de toute façon, Our Prayer et Cabinessence, deux des plus beaux titres écrits pour Smile, sont là pour mettre tout le monde d’accord.
Le problème de ces chansons, c’est qu’elles n’ont plus la moindre actualité. Les Beach Boys rejouent leur passé glorieux, comme s’ils n’arrivaient pas à faire le deuil du succès ou de cette reconnaissance plus grande encore dont l’abandon de Smile les a privés. À la vitesse où va la musique dans les années 1960, un tel surplace les condamne à l’oubli. Mais il y a quelque chose de beau, de tragique même, dans le sacrifice d’un groupe s’obligeant à croire en un âge d’or désuet, dans ces chansons aussi splendides que totalement hors du coup (Do It Again atteindra certes la 20e place des charts, mais on est loin des Top 5 récurrents de la période 1963-1966).
Dennis prend le pouvoir
Entre nostalgie et appels du pied maladroits au mouvement hippie, les BB laissent tout de même entrevoir sur 20/20 quelques perspectives d’avenir. Time To Get Alone et I Went To Sleep sont deux chansons qui leur ressemblent, pop et mélodieuses, et pour lesquelles ils n’ont pas besoin de jouer un rôle. Pour autant, elles ne flirtent jamais avec l’auto parodie, à l’inverse de Do It Again. Le groupe accepte cette fois de tourner la page des sixties et adopte un son moderne, moins concentré que durant leurs années surf et plus lisse (presque trop) que sur Pet Sounds ou Smile. Le résultat séduit : il n’est de plus grand bonheur que d’écouter ces deux morceaux, le premier pour son refrain céleste, le second pour l’ambiance rêveuse qui l’enveloppe. Au passage, difficile d’ignorer le troublant parallèle qui relie ce titre à son auteur : Brian Wilson passe alors le plus clair de son temps au lit.
Si l’aîné des Wilson y glisse donc deux chefs-d’œuvre, 20/20 marque aussi l’essor du songwriting de Dennis. Le batteur signe, outre Never Learn Not To Love, écrit à l’origine par Charles Manson sous le titre Cease To Exist (que les curieux se rassoient, c’est un morceau assez banal, même pas assez mauvais pour être fascinant), un Be With Me brillamment orchestré, qui dévoile un peu du talent de celui qu’on prenait jusqu’alors pour le rigolo de la bande. 20/20 réserve la même surprise : disque d’outsiders, courant plusieurs lièvres à la fois, il permet finalement d’explorer chaque facette du talent des Boys, tout en annonçant une renaissance artistique bientôt confirmée par l’album Sunflower.