Pet Sounds (1966)
Un dialogue entre le docteur Faustroll et son fidèle Bosse-de-Nage
Bosse-de-Nage : Alors, tu te décides à écrire sur Pet Sounds ?
Docteur Faustroll : Oui, mais c’est compliqué…
B : Pourtant, c’est un album ultra-reconnu, un chef-d’œuvre. On en parle partout !
F : Justement… On en parle et on en a trop parlé. C’est cela qui rend la chose difficile. Un album comme le MIU, même So Tough, c’est relativement simple. Tu peux expédier ça en quelques lignes, il n’y a pas grand-chose à sauver… Pet Sounds, c’est différent. Tu dois faire attention, ne pas répéter ce qui a déjà été écrit, éviter les écueils liés à tout album culte genre –"c’est génial !" et puis plus rien-, tenter d’être original tout en rappelant quand même ce qui fait de l’album un chef-d’œuvre, comme tu le soulignais, ce qui peut expliquer sa réputation quasi intacte 50 ans après.
B : Donc, tu butes…
F : Je bute et je ne démarre pas. Par quoi commencer, par exemple ?
B : Commence par le titre. Pet Sounds, ça veut dire quoi ?
F : Justement, là, tu mets le doigt sur le premier problème : le titre ! Quel rapport entretient-il avec l’album ? Des bruits d’animaux, il n’y en a qu’à la fin du dernier titre, Caroline, No : ce sont les deux chiens de Brian qui aboient. C’est tout. Ce n’est pas un album animalier et Brian n’est pas un disciple de Messiaen. Le titre nous éloigne du contenu.
B : La pochette, pourtant…
F : Même problème : le titre et la pochette ! Comment peut-on avoir lié un tel contenu avec un tel contenant ! Je ne comprends pas comment Brian a pu accepter qu’un album qui le peignait si intimement ait pu être affublé d’une telle pochette et d’un tel titre.
B : Peut-être l’humour ?
F : L’humour d’un gosse de dix ans, alors. Mais c’est possible. Brian n’a guère dépassé cet âge-là sur certains aspects. Tu vois bien le problème qui se pose d’emblée : il faut convaincre d’éventuels martiens que le contenu est tout autre que le contenant.
B : Parlons du contenu alors. J’ai lu que Gael Tynevez l’envisageait comme « l’achèvement de Brian Wilson ». Tu y crois, toi ?F : Et comment ! C’est le sous-titre de son bouquin, indispensable, autant le dire tout de suite. C’est l’achèvement parce qu’il porte à son niveau le plus haut, la perfection, le climax, ce que Brian avait entamé 4 ans auparavant, en 62. On peut suivre album après album les étapes qui conduisent à Pet Sounds, tant musicalement que thématiquement. Pour aller vite, Pet Sounds élargit à un album ce que la face B de Today avait effectué l’année précédente.
B : Ce serait donc une sorte d’aboutissement génial pour le groupe.
F : Pour le groupe, non, pour Brian, essentiellement.
B : Pourtant, l’album est paru sous le nom des Beach Boys, pas de Brian ?
F : Encore une curiosité. L’album est effectivement paru sous le nom du groupe mais c’est en grande partie un album solo de Brian. D’ailleurs, Caroline, No, le titre dont je parlais tout à l’heure, est paru à l’époque sous le nom de Brian. Mais, c’est tout l’album qui aurait pu –qui aurait dû- être publié ainsi.
B : C’est un peu tiré par les cheveux, ça. Tu vas entrer dans une nouvelle polémique.
F : Tout le monde le sait, en fait. Depuis qu’il ne joue plus sur scène avec les autres, une sorte de scission a eu lieu, plus ou moins nette, plus ou moins visible, mais elle est là. Il est convenu que Brian élabore les albums en studio avec des musiciens professionnels –ceux de Phil Spector- et que les Boys interviennent pour les voix et Mike pour les lyrics. Tant que les singles à succès pleuvent, personne ne s’en plaint.
B : Les Boys acceptent ?
F : Ils font des tournées à succès en jouant à fond sur l’image classique du groupe et en interprétant les tubes qui ont fait leur gloire. Parfois, ils intègrent de nouveaux titres plus personnels, mais, dans l’ensemble, ils jouent sur la formule. Cela permet à Brian de travailler tranquillement dans son coin. Ce que personne ne semble voir venir, c’est que Brian s’éloigne de plus en plus de la formule. C’est en 1966 que tout va exploser, avec Pet Sounds justement.
B : Tu disais que l’album était majoritairement un album solo de Brian. Mais, où sont les autres, alors, pendant que Brian l’enregistre ?
F : En tournée internationale, jusqu’au Japon. Pendant des mois. Brian est seul, on lui fout la paix. Capitol n’a aucune raison de douter de son génie maison et les Boys ne s’en occupent pas. Entouré de Tony Asher –son nouveau parolier, imagine la gueule de Mike !-, il peaufine son œuvre dont la thématique ne tourne pas du tout autour du surf ou des bagnoles : ce sont les relations hommes-femmes qui le préoccupent. Il s’est marié, est amoureux de sa belle-sœur, ne sait pas trop s’y prendre avec sa femme, a la nostalgie du passé, est mélancolique, bref, tout cela va passer dans le nouvel album. Ce n’est plus le rêve californien qu’il nous vend, ce n’en est pas encore le cauchemar, c’est une sorte de malaise adolescent.
B : Il a quand même passé la vingtaine, à l’époque…
F : Oui, mais Brian, qui a eu une enfance compliquée, n’a pas vraiment eu d’adolescence puisque le succès est venu très tôt, trop tôt. En ce qui concerne les relations humaines, il n’a pas grandi aussi vite qu’en taille. Il vit à 24 ans une sorte de crise d’adolescence. Autant il est en avance musicalement, autant il est, humainement, singulièrement en retard.
B : Et cette angoisse est le sujet du disque ?
F : En partie mais elle irrigue de nombreux titres, les plus langoureux, ceux que certains finiront par juger monotones.
B : Tu nous fais la chronique d’un album dépressif, là !
F : C’est en partie vrai mais Brian, à l’époque, sait enrober cela magnifiquement. D’une part, il ne se laisse pas endormir par cette langueur mais en fait l’une des forces du disque en la faisant alterner avec des titres beaucoup plus rythmés. Enchaîne You Still Believe In Me avec That’s Not Me, ou Don’t Talk avec I’m Waiting For The Day, tu verras ! Il joue à fond des contrastes entre les titres. Ensuite, il donne à chaque titre une couleur sonore particulière en faisant ressortir un instrument : harmonica basse (I Know There’s An Answer), accordéon (God Only Knows, Wouldn’t It Be Nice), flûte (Sloop John B.), cordes (Don’t Talk), guitare (Pet Sounds), etc. Il y ajoute des bruits divers : sonnette de vélo ou, justement, aboiements de chiens. Il s’amuse avec tous les jouets qu’il a à disposition comme s’il sentait, peut-être, que tout cela ne va pas durer.
B : Et ça va être le cas…
F : Forcément. De retour de leur tournée, les Boys sont perplexes, de même que Capitol. On prête à Mike une remarque célèbre sur la formule détournée, mais, globalement, tous se rendent compte que l’image du groupe est en train de changer. D’ailleurs, c’est un titre enregistré avant ces sessions solitaires –Sloop John B.- qui va servir de single.
B : Et les ventes ?
F : Pas bonnes. L’album peine à se vendre aux States mais on lui fait un triomphe en Angleterre et les Beatles prennent une grosse claque en l’entendant, alors qu’ils sont en plein enregistrement de Revolver. Et puis, la suite est connue : l’influence de Pet Sounds sur la pop sera presqu’aussi forte, quoique plus souterraine, que celle du premier album du Velvet. Aujourd’hui, c’est une référence incontournable. Et sa pochette a été imitée plusieurs fois !
B : J’ai même trouvé un exemplaire du fanzine In My Room qui lui a été consacré. La référence ultime !
F : Tout à fait. C’était en 2007, avant la disparition du Dr Kok, une perte énorme pour le monde de la musique…
B : Et après, c’est la dégringolade ?
F : Après, il y a le marasme Smile puis une lente mais inéluctable dégringolade pour Brian qui ne retrouvera plus jamais la même liberté et la même inventivité.
B : Donc, c’est vraiment un « achèvement » ?
F : Oui.
B : Ha Ha.
Presse française
Rock & Folk n°2, décembre 1966, chronique (Kurt Mohr)
Rock& Folk n°90, juillet 1974, Courte chronique de Pet Sounds
Best n°106, mai 1977, La Symphonie Inachevée (Francis Dordor)
Télérama Hors Série, novembre 1995, la discothèque idéale
Rock & Folk Hors Série n°11, décembre 1995, 300 disques incontournables, Pet Sounds (Nicolas Ungemuth)
Rock & Folk n°363, novembre 1997, Chronique du coffret Pet Sounds Sessions (Stan Cuesta)
Jukebox Magazine n°123, décembre 1997, Chronique du coffret Pet Sounds Sessions (Jean-William Thoury)
Rock & Folk n° HS 15, décembre 1999, Disco 2000 - Pet Sounds (Nicolas Ungemuth)
Rock & Folk n°419, juillet 2002, chronique Pet Sounds Live (François Bacherig)
Rolling Stone n°13, novembre 2003, Chronique DVD-A Pet Sounds (Frédéric Valion)
X-Rock n°3, décembre 2003, Chronique DVD Pet Sounds Live (Patrick Foulhoux)
Inrockuptibles n°HS13, décembre 2003,Chronique DVD-A Pet Sounds
Rock & Folk n°437, janvier 2004, Chronique DVD Pet Sounds Live (Jérôme Soligny)
Recording n°32, avril 2004, Pet Sounds (Jay Alanski), Surf's Up! (Florent Mazoleni) et Brian Wilson plays Smile (Christophe Geudin)
Rock & Folk n°471, novembre 2006, chronique de l'édition du 40ème anniversaire (Nicolas Ungemuth)
Supplément à Glamour n°37, avril 2007, Best of pop - Pet Sounds
Best of Crossroads n°4, juin 2009, 1960-1968, 100 albums essentiels - Pet Sounds, Smiley Smile & Friends
Rock First n°5, février 2012, histoire de la pochette (Romuald Ollivier)
Rock & Folk n° HS30, décembre 2014, chronique (Nicolas Ungemuth), parmi 555 disques indispensables
Rock & Folk n°574, juin 2015, dans la Discographie Psychédélique du magazine et chronique de la réédition du coffret Pet Sounds Sessions (Nicolas Ungemuth)
Rock & Folk n° HS31, décembre 2015, parmi les grands classiques du rock psychédélique (Philippe Manoeuvre)
Les Inrocks n°77H, mars 2016, article (Christophe Conte) (n° hors-série "1966")
Rolling Stone n° collector 29, avril 2016, parmi les 50 albums de l'année 1966
Rolling Stone n°85, juin 2016, chronique du coffret du 50ème anniversaire (Sophie Rosemont)
Rock & Folk n°588, août 2016, 50ème anniversaire, chronique du coffret (N. Ungemuth) et du vinyle (E. Delsart)
Guitar Part n°269, août 2016, Pet Sounds, adieu surf, plage, soleil ... (Flavien Giraud)
Rock & Folk n°590, octobre 2016, en vinyle (Ph. Manoeuvre) et en dvd (J. Soligny)
Les Inrocks2, n°71, octobre 2016, (seulement) 4ème meilleur album américain (sur 100) (Christophe Conte)
Jukebox Magazine n°359, novembre 2016, chronique du dvd "Classic Albums" consacré à l'album (Jean-William Thoury)
Guitarist & Bass Magazine n°302, novembre-décembre 2016, Pet Sounds à 50 ans (Romain Decoret)
Rock & Folk n°HS34, décembre 2016, Chronique (Nicolas Ungemuth), parmi 575 disques indispensables (idem R&F HS 30, décembre 2014 ci-dessus)
Rock & Folk n°HS37, juillet 2018, Chronique (Nicolas Ungemuth), parmi 600 disques indispensables (idem R&F HS 30, décembre 2014 ci-dessus)
Rolling Stone n°123, avril-mai 2020, God Only Knows (Philippe Barbot)
Les Légendes du Rock n°3, mai-juillet 2020, Pet Sounds et Good Vibrations
Rock & Folk n°HS39, décembre 2020, Chronique (Nicolas Ungemuth), parmi 666 disques indispensables (idem R&F HS 30, décembre 2014 ci-dessus)
Les Légendes du Rock n°6, février-avril 2021, Le son des sixties - Pet Sounds (Paul Lester)
Le Meilleur du Rock n°11, oct-noc-décembre 2024, Pet Sounds 53ème meilleur album du rock
Incontournable
Un des 50 albums indispensables de la Fnac dans le Guide Pop Rock 1950-1979 (la Discothèqie idéale en 250 cd) publié en 2002.
Toujours indispensable en 2010 dans la Discothèque Idéale de la Fnac, Pop Rock - Les années 60-79.
Un des albums incontournables de la Discothèque idéale Fnac en 2015, 2016 et 2017.
Présent dans la Discothèque idéale vinyle 2020 et dans la Discothèque idéale vinyle Pop-Rock 2021 de la même enseigne.
#1 des 200 Greatest Albums of All Time du magazine anglais Uncut (Février 2016)
Un des 100 Albums Essentiels 1960-1968 du magazine français Crossroads (Best Of) (n°4 - juin 2009)
Un des vinyles de légende selon Thierry Jousse (octobre 2024) et un album ultime selon Philippe Manoeuvre (novembre 2024).