Today! (1965)
Un instant furtif
S’il y a un moment, un seul instant furtif au cours duquel le Brian Wilson de I Get Around a laissé place à celui de Pet Sounds, c’est sur l’album Today! qu’il faut le chercher. À condition d’être un peu patient : la première moitié du disque demeure en effet assez « classique », si ce terme n’estompait pas l’ingéniosité de chansons comme When I Grow Up (To Be A Man), dont le rythme bancal, les notes de clavecin et le jeu de question-réponse permanent entre chant et contre-chant en font l’une des pièces les plus abouties du quintette.
A la recherche d'un son nouveau
Bien qu’il donne quelques indices des obsessions futures de Brian pour l’enfance, When I Grow Up n’obscurcit en rien l’ambiance enlevée de ces six premiers morceaux, plus propices à la danse qu’au recueillement. Difficile, par exemple, de refuser l’invitation de Dennis lorsque celui-ci interprète une version tonitruante, « spectorienne », du Do You Wanna Dance de Bobby Freeman. Au cas où le message ne soit pas encore assez clair, Dance, Dance, Dance se charge de le répéter une dernière fois pour conclure la face A.
Et là, paf, Brian perd ses clefs, rate son feuilleton favori ou se fait chourer son goûter. En tous cas, quelque chose de grave arrive et plonge le jeune homme de 23 ans dans un profond mal-être, qui s’étale sur toute la seconde moitié de Today!.
Certes, depuis In My Room, les albums des Beach Boys comprenaient toujours une ou deux chansons plus intimistes. Seulement voilà, même avec le talent et la personnalité du groupe, elles ne faisaient que décliner le modèle de balade doo-wop en vigueur depuis les années 1950 (In The Still Of The Night des Five Satins, There’s A Moon Out Tonight des Capris, etc.). Cette fois, si l’on excepte I’m So Young (une reprise de doo-wop, justement*), ce changement d’humeur s’accompagne d’un profond renouvellement artistique. Profitant sans doute d’avoir délaissé les tournées du groupe depuis le mois de décembre 1964 pour se consacrer au travail de studio, Brian enrichit ses compositions, tout en leur insufflant plus d’air et d’espace, comme s’il cherchait à y recréer une forme de solitude intérieure. La chanson Please Let Me Wonder illustre jusque dans son titre cet appel à l’introspection. Elle offre par ailleurs à l’aîné des frères Wilson l’une des meilleures parties vocales de sa carrière : son timbre y est si doux, si moelleux, qu’il ressemble à celui d’un enfant. Un voile d’amertume vient ensuite s’y poser sur She Knows Me Too Well, une chanson dont le refrain, comme un symbole du changement d’humeur des Beach Boys, ressemble un peu à celui d’I Get Around passé au ralenti !
Déjà un grand disque
Les Beach Boys n’ont jamais été réputés pour leurs textes. Celui de Kiss Me Baby, pourtant, touche par sa simplicité : « Can’t remember what we fought about », chante Brian d’une voix plus plaintive que jamais, dans un espoir de réconciliation qu’on imagine vain. Jouant du contraste entre envolées vocales et instants d’accalmie (laissés au timbre plus grave de Mike Love), ce morceau adopte en outre un procédé que Wouldn’t It Be Nice ou I Just Wasn’t Made For These Times perfectionneront bientôt.
L’écoute de In The Back Of My Mind se révèle plus troublante encore : ce son diffus, ce saxophone, ces percussions lointaines dont l’écho semble infini, c’est déjà Pet Sounds ! Une façon de démentir l’idée communément acquise selon laquelle les Beach Boys ne seraient devenus un groupe « respectable » qu’à partir de l’album à têtes de chèvres. Today! prouve au contraire qu’ils n’ont pas attendu l’année 1966 pour signer un des disques les plus ambitieux et les plus poignants de leur époque.
* L’original, œuvre des Students, a notamment été repris par Ronnie Spector.